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Nocturnes [Pearl]

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MessageSujet: Nocturnes [Pearl] Nocturnes [Pearl] EmptyVen 11 Juin - 19:06

Et comment est-elle ?
— Comment est-elle ?
Eh bien, oui ! Est-elle jolie ou insipide ? Niaise, superficielle ? … Fine, subtile ? Où allons-nous, mon très cher, s’il existe dans votre vie une femme dont vous ne me parlez point ?

Sylar boutonnait distraitement les boutons de ses manches, cependant qu’un sourire filait une toile discrète sur sa bouche. Les porcelaines avaient décidément quelque chose de fascinant. La sienne, notamment, s’allongeait sur sa patience à la façon d’une reine, tendrement alanguie, jamais pesante toutefois, ce qui lui donnait de l’insolence et mieux encore, de la grâce. Lady Shanetia prétendait prendre sur lui, sur son âme, un empire dont la seule idée avait valu à d’autres un angle mort en guise de parure. Et elle y réussissait, en quelque sorte, tant qu’il y consentait – il y consentait souvent. Mais pourquoi faire un caprice, songeait-il, quand cette dame faite porcelaine sait si bien évincer ma mesure ; il lui suffit d’un regard pour que je me figure la tasse que l’on brise, la femme que l’on quitte, les morceaux de céramique que l’on ramasse et qui nous blessent, la femme que l’on reprend et qui se venge. Ah ! Comme elles manquaient, ces rouées, ces comploteuses qui savaient sourire, quand se taire et quand frapper… Où étaient-elles, ces aventurières qui demeuraient sourdes au froufroutement de leurs robes, qui façonnaient les esprits et les corps du velours de leurs yeux habiles… ? Et Sylar s’envolait à dos de résurgences ; il lui semblait qu’un gant glissait pour choir entre les dentelles, qu’une main passait tout près de lui, contact fugace, et qu’un agréable frisson lui hérissait la nuque... Pourtant il revint soudain, les yeux clairs d’une raison nouvelle – c’était encore un tour de Shane, pensa-t-il – et fit face à l’enchanteresse, comme pour se remémorer, en lisant sur son visage délicatement décoré, ce qu’il avait voulu lui dire. Elle le considérait paisiblement, sans s’impatienter, et il sentit, qui s’écoulait à l’intérieur de lui, la douce oscillation de la péniche. Alors il se souvint, et il eut un regard vers la fenêtre qu’éclairait la faveur lunaire, exactement comme ce soir-là.

— De grands yeux noirs, dit-il sérieusement en s’adossant à l’un des fauteuils, bras et pieds croisés. Vous me demandiez de la décrire, n’est-ce pas. Eh bien voilà.
Moi, je ne vois qu’un petit garçon qui souhaite garder une trouvaille pour lui – ou bien est-ce un trésor ?
— C’est vrai qu’elle n’est pas de ces femmes que l’on partage.
… Allons, reprit Shane après un silence, pensez-vous donc l’honorer par votre discrétion ? Je crois au contraire que vous l’insultez.

Sylar n’en fut pas touché. Il savait assez ce qui le liait au peu de personnes qu’il estimait – autant de faiblesses qu’il devait soustraire aux malveillances – pour ne pas douter du traitement particulier qu’il leur réservait. En somme, ce n’était qu’une affaire de protection plus ou moins égoïste. Il balayait d’un revers de main les jugements dont il ne voulait pas ; parmi eux, celui de Lady Shane aurait pu, par une moquerie gentille de mondaine qu’il n’aurait su tolérer, tacher la femme précieuse qu’il ravissait quelquefois. Il préférait encore la cacher, et tant pis si Madame lui en tenait rigueur. Il se mura donc dans un silence persistant, et Lady Shane, qu’il ne quittait pas des yeux – narquoiserie manifeste – dissimula sa déception sous de lourdes paupières fardées. La distance de Sylar, devenue si imprévisible pour elle qui se supposait privilégiée, avait distillé dans la pièce un goût amer de fin de fête. Et cela tombait bien, puisqu’il partait.

Il s’éloigna du fauteuil et s’empara de son pardessus, qu’il déposa simplement sur ses épaules à la façon d’une cape. Pendant ce temps, derrière lui, un pingouin volant s’était approché, qui poussait un plateau garni de divers accessoires lui appartenant. De ses bras où manquaient ici et là quelques plumes, il tendit à Sylar une paire de gants noirs, puis une montre à gousset qui brillait d’un feu blanc dépourvu de souvenirs – celui des acquisitions neuves et nouvelles. Sylar, après s’être ganté, ouvrit le bijou et en effleura le cadran du bout des doigts. Il eut l’impression, en suivant les aiguilles, de souhaiter bienvenue à la nuit, et de la remercier comme par avance de ses douceurs. Enfin il abaissa doucement le clapet finement ajouré, et suspendit la jolie montre à sa ceinture au moyen d’une courte chainette en argent. Il craignit néanmoins d’être en retard et fut sur le point de se comporter en homme pressé, quand ses yeux croisèrent ceux, brillants, du dévoué pingouin dont la crête touffue frémissait de déférence et d’engouement. C’est qu’il présentait à Sylar, comme l’on présente une inestimable relique, avec toute la précaution du monde, le haut-de-forme qui diffuserait sur son visage l’ombre des individus discrets et distingués. Il ouvrait le bec pour sourire, prêt, semblait-il, à coiffer lui-même la tête de son Maître ; et Sylar, que l’amusement secouait presque, lui accorda ce plaisir. Une révérence. Il se redressa « beau comme un prince ».

— Je vous remercie, monsieur Du Pingouin.
Le volatile se mit à glousser, et repartit, satisfait, en tirant son plateau derrière lui.
Lady Shanetia, elle, n’avait point rouvert les yeux. L’inflexion de ses sourcils dessinés lui donnait l’air fâché. Sylar n’en prit pas ombrage cependant, habitué aux humeurs d’autrui et disposé lui-même à l’indifférence. Il saisit une canne d’agrément en bois précieux, et il murmura, tandis que sa main épousait lentement le pommeau rond incrusté d’argent et d’étain.
— Je vous quitte, Madame. Soyez sage, d’accord ?
Comme elle ne lui répondait pas, Sylar haussa les épaules et partit.

Peut-être avait-il ensuite souri, par complaisance, en songeant à cette bouderie. Il existait, entre Shane et lui, une mauvaise influence mutuelle ; quand il se laissait aller au jeu de la complicité, elle négligeait, pour sa part, la sagesse et le discernement qui la rendaient si grande. Cela ne durait jamais bien longtemps – elle se vengeait, quelquefois. Il n’y pensa plus.
Sylar ne réfléchissait d’ailleurs qu’à son rendez-vous lorsqu’il aperçut les hauts couloirs qui menaient à Verassoie. Il avait préféré rejoindre Pearl – il lui semblait enfin permis de la nommer – à l’intérieur de la ville, afin qu’ils ne fussent pas vus qui s’y rendaient ensemble. Par la suite, tous deux pourraient à loisir se mêler à la cohue et profiter de l’effervescence pour passer inaperçus.
Un doux serpent le parcourut à l’idée de la revoir, et tout son être s’égaya un peu plus lorsque, cramponné à la plante, il s’envola vers des cimes nuageuses inexplorées.
Mais un peu trop vite, sans doute, se dit-il en foulant les dalles colorées du Rainbow Bridge – il s’était un peu renseigné, en réalité, mais laissait à sa collègue un lot considérable de surprises à faire. La brusque ascension lui avait engourdi les jambes – lui, mauvais arroseur ? – et le ventre ; il se sentit désagréablement raide, mais parvint tout de même à se faufiler habilement entre les passants. Elle devait l’attendre, sous les gigantesques arcades qui ceignaient l’autre extrémité du pont. Comme il approchait, Sylar souleva légèrement son haut-de-forme, et une ombre très noire descendit gracieusement à ses pieds, les suivit, puis les dépassa tout à fait pour s’enfoncer parmi la multitude de jambes inconnues.
Nul ne remarqua l’Hesperis qui, malgré sa robe ténébreuse, s’improvisait admirable éclaireur. Mais quelle apparence qu’il pût reconnaître une femme qu’il n’avait jamais vue ? Eh bien, c’était l’un de ses plus charmants secrets, et il ne le partageait à ce jour qu’avec son propriétaire.

Il fut assez difficile à suivre, mais Sylar le retrouva qui voletait autour d’une silhouette familière, soufflant sur les joues de la jeune femme de petits joyaux de lumière, comme l’on offre des fleurs, naïvement, sans s’être inspiré des usages. Tout près, il vit son chapeau de sorcière – complices ! – puis il la vit, elle, parfaitement, et cela fit de lui un homme content. Il se sentait moins distant, moins froid que l’autre soir, peut-être un peu joueur, peut-être un peu taquin, et il se disait que, non, décidément, pour rien au monde il ne lui faudrait parler de ce qu’il ressentait pour cette femme-là.
Il offrit une caresse à l’Hesperis et sourit aimablement à sa collègue :

— Bonsoir. J’espère encore ne m’être pas montré trop impoli en vous donnant rendez-vous ici. C’est plus sûr, je crois.
Il lui donna son bras, par galanterie, politesse et rituel – elle pouvait désormais l’emmener, et se permit un mot discret, pour dire qu’il lui trouvait belle mine.
— La Lune vous aime, ce soir. Vos doutes se portent-ils un peu mieux, depuis la dernière fois que nous nous sommes vus ?
Et l’Hesperis, de ses tours successifs, effleurait leurs jambes avec tendresse.
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MessageSujet: Re: Nocturnes [Pearl] Nocturnes [Pearl] EmptyJeu 24 Juin - 20:24



Douceur languide d'une soirée d'été. Les jours s'étaient-il raccourcis, depuis cette gracieuse visite sous les regards de la lune ? Pour tout avouer, Pearl ne savait plus trop. Les évènements s'étaient bousculés, de poursuites en missions, de virées en imprudences … Et le temps avait passé. Elle avait cherché, parfois, son regard, dans les couloirs du quartier général – avec en souvenir cette invitation tacite, jetée là, comme … Elle ne l'avait point vu, pourtant – et ce ne fut pas faute d'errer de pièces en pièces. Le hasard avait bien voulu lui fournir l'excuse nécessaire pour ce séjour prolongé : les heures de sommeil dérobées par les hurlements de la clocharde ne lui avaient pourtant pas rendu service, à son grand dam … Le hasard … Ne fait pas toujours si bien les choses, quand on y pense. Et puis, le quotidien de l'Epouvanteur normal – si Epouvanteur normal il pouvait y avoir – avait repris ses droits : la sorcière avait continué à poursuivre ses lubies, en dépit des remarques et des haussements d'épaule … C'était peut-être cela, la recette des gens heureux. Elle avait rangé dans un coin de son cœur des espoirs que l'on était peu disposés à entendre, elle avait poursuivi d'autres litanies, de nouvelles correspondances … Dans l'espoir, peut-être, de trouver certains visages, pour orner le ciel de sa solitude. Oh, sans doute eût-elle aimé lui faire part de ces petites histoires de rien, lui raconter, avec le doux sourire des aveux un peu honteux, ces petites folies qu'elle entretenait, toujours, mais ... Le mal pris en patience … Oh, devait-elle se l'avouer ? Elle avait, bien malgré elle, noyé de résignation la pensée de ces promesses dans les airs et de ces occasions manquées, embaumant tristement le tendre souvenir de cette nuit-là : on n'a point le temps d'être inconsolable quand on est maître d'Epouvante …

Et puis, il y eut ce rendez-vous. Et tout ce qu'elle avait enfoui, silencieusement, tout ce qu'elle avait confié, les soirs de solitude, à ses objets charmants et ses regrets fleuris … Tout refit surface.

Ce n'était rien, le temps … Vous pensiez que les choses avaient passé, que le quotidien vif et criard avait estompé les teintes douce-amères des sentiments étouffés, vous pensiez que cela n'avait plus d'importance, que cela s'était tu … Et ce n'est qu'une illusion de plus, pour vous bercer le soir entre vos inquiétudes plus directes … Pour ne pas trop cumuler. Ce soir-là, Pearl avait volé jusque Verassoie, le cœur battant, les doigts crispés sur le manche du capricieux Solexine, le chapeau à la main – et tremblant que les rafales de vent ne lui dérobent sa beauté. Nerveuse, elle arrosa un peu fort ses haricots magiques, et goûta l'étrange vertige – celui qu'elle s'enorgueillissait de ne jamais connaître ! Elle se noya dans la foule, les yeux baignés dans l'ombre, les rêves comme rougissant de se découvrir là, bel et bien là – comme au premier jour … Ainsi donc, vous n'avez pas changé, vous existez toujours – où vous étiez-vous terrés, depuis ces fastes jours … ?

Et elle faisait maintenant les cent pas, sous le pont-aux-Couleurs. Ce soir, sans doute pouvait-elle espérer qu'on ne la reconnaisse pas … En effet, ce n'était point la sorcière cannibale qui dansait, là, d'un pied sur l'autre, mains nouées devant son cœur … Ce n'était pas la mystérieuse dame aux yeux noirs, sûre d'elle et de son bon droit, celle qui avait rétorqué sous les yeux d'un interrogateur atteré que le fumet d'enfant vous donnait une belle peau … Elle était loin, au fond, cette Pearl-là … Celle qui tournait et retournait ses petites mièvreries sentimentales, celle qui craignait de déplaire, celle qui depuis des heures, s'était apprêtée … C'était une jeune femme qu'on ne regardait pas, et qui un jour, courait à son premier rendez-vous, comme honteuse, soudain, de se trouver trop belle …

Après un coup d'œil alentours, elle sortit son poudrier, et devant le petit reflet, rajusta sa coiffure, comme elle put. Quand elle leva de nouveau la tête, elle crut alors l'apercevoir … Était-ce bien lui, là-bas, qui s'avançait, couronné d'élégance … ? Elle détourna les yeux, fit un tour sur elle-même, manqua lâcher le balai attaché là en résignation. Ce ne pouvait, il était trop tôt ! Mais le chant de l'horloge musicale d'une boutique attenante vint la contredire : Sylar était ponctuel, et elle n'était pas prête, au fond d'elle-même – mais pouvait-elle l'être jamais ? C'était idiot, pourtant : ceux que l'on aime se font toujours trop attendre, n'est-ce pas … ? Ivre de ses fatalismes, elle le regarda cependant, fit un pas ou deux, se retenant de fuir ou de se précipiter vers lui … Et quand elle entendit sa voix, enfin, le rose lui monta aux joues.


    - Vous en vouloir ? Mais au contraire, c'est une sage précaution … ! On vous a mis au courant de ma déplaisante aventure, la dernière fois que je suis venue ici, sans doute ? Inutile d'attirer une fois de plus l'attention, le lieu de rendez-vous est ...

Parfait. Elle saisit le bras qu'il lui avait offert, lui sourit doucement – sentimentalités vives – et son cœur manqua une marche. Comment avait-elle pu douter, comment avait-elle pu penser … ?! Elle ajouta, plus rapidement :

    - Mais où ai-je la tête ? Bonsoir, oui …

Rougit au compliment, évidemment - réaction attendue. Et d'un petit rire – tintement de clochette, ajouta, de cet air mi-gêné mi-ravi qu'ont les gemmes quand on leur dit ce qu'elle voudraient entendre, sans forcément oser l'attendre :

    - Mais enfin, que dites-vous là ? C'est vous qui …

Sa discrétion semblait d'autant plus gracieuse maintenant qu'elle lui répondait avec tant de maladresse … Pour se donner contenance, elle se laissa bercer, un instant, par les mouvements gracieux de l'animal – le voleur de comète. Des miettes-lumières flottant autour de lui, elle passa aux couleurs joyeuses de la ville nocturne … Et puis, rejetant scrupules et lourdeurs de pensée, angoisses et froideurs résignées …

    - Mais … Oui, je crois que cela va mieux. Où nous perdrons-nous, ce soir ? Car j'ai envie de me perdre – la Verassoie de maintenant n'a plus rien à voir avec la ville où j'ai grandi, et qui s'intéresse aux pèlerinages de souvenir … ? L'heure n'est pas à la mélancolie, n'est-ce pas ... ? Vous connaissez Verassoie ?

Puis elle baissa les yeux - petite moue honteuse. Encouragée par la vie qui bruissait tout autour, elle en venait à trop parler. Soudain timide, Pearl contempla de nouveau l'Hesperis qui effleurait doucement ses jambes, dans les froufrous de ses jupons ...

Les lueurs dansantes autour d'elle s'étaient redonné une couleur d'espérance.
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MessageSujet: Re: Nocturnes [Pearl] Nocturnes [Pearl] EmptyDim 15 Aoû - 22:11

Sylar se taisait, l’écoutait, le visage légèrement incliné vers elle, les paupières à demi closes pour la regarder de biais, avec décence, comme un timide contemple le monde. Doucement, sûrement, il lui cédait la bride de leur attelage crépusculaire, et restait indéchiffrable ; après tout, qu’il eût été informé d’un fâcheux incident demeurait sans importance, et ce qu’il existait de déplaisant, ce soir, ne valait guère la peine que l’on s’y attardât.

Entre les promeneurs, elle à son bras, il oubliait lui-même la somme de ses déconvenues intérieures. Son indifférence, devenue souffrante depuis quelques mois, l’avait laissé songeur, presqu’inquiet ; l’apparition de minces fissures le long de ses remparts l’avait saisi, au point de lui faire envisager une sérieuse révision de son unique principe. Comme inconscient, il s’était mis à collectionner, et à ne plus abandonner là, à s’éprendre, et à ne plus oublier ; à force de ne plus vraiment savoir dire tant pis, il avait aperçu, au loin, tout au bout de ses contradictions, les premiers horizons d’une nécessité qu’il ne comprenait pas.
Peut-être avait-il eu peur d’une entité qu’il avait jadis appris à maîtriser, dont il avait su se passer, et qui revenait à lui dès les premières rouilles. Peut-être.

Mais il souriait, maintenant. S’étaient-ils rendus compte, tous les deux, qu’il n’avait jusqu’à ce soir jamais offert son bras ? Lui, non. Un détail. Un rien qui semblait tout dire, sous le couvert d’un sentiment trompeur de naturel. Et pendant ce temps, Pearl, de ses chants, l’invitait sur la pente douce des êtres qui, pour s’oublier gentiment – sans conséquence ? – savaient transformer les secondes en minutes, et les minutes en heures. Elle soufflait un mot sur ses propres incertitudes, un mot sur lui, et c’était l’envol, dans deux directions opposées. Puisqu’il fallait se perdre, songea-t-il, une plaisanterie secrète au coin des yeux. Il retrouvait en sa façon de parler ce qu’il y avait d’adorable dans le danger.

— Du tout, fit-il en secouant nonchalamment la tête. Mes parents, n’eut-il pas peur d’expliquer aussitôt, considéraient les sorciers comme un groupe d’individus peu fréquentables – je vous rassure cependant, peu de gens semblaient dignes des Black à leurs yeux. Je crois que rien n’a changé depuis. Par la suite, mon travail ne m’a jamais mené dans l’enceinte de cette ville. Ma curiosité non plus.

Sylar foulait ces pavés pour la toute première fois, et subissait, lui aussi, la magie de l’effervescence, qui déliait les langues, enchantait les âmes, enhardissait les cœurs. Il comprenait du reste ces amoureux par nature, qui ne pouvaient se prétendre indifférents à la Nuit, et adoraient aveuglément sa beauté, qu’elle fût nue, lunaire, ou embellie d’artifices lumineux et multicolores.
Au rythme lent de ses pensées, son pouce caressant, égaré sur le pommeau de sa canne, il poursuivit :
— C’est tant mieux. L’idée de la découvrir en votre compagnie me plaît. S’il s’agit en plus pour vous d’une redécouverte… Ma foi, je suppose que nous pouvons d’ores et déjà nous réjouir – qui sait ? Peut-être que Verassoie ne nous décevra pas.

Il gardait toutefois en mémoire les prudences de sa collègue. Point de souvenirs, alors ? Pour sa part, il y réfléchissait encore. La mélancolie, ou la nostalgie, devenait une excellente amie, tendre et poète, pourvu que l’on admît la joliesse de l’émotion qu’elle procurait ; une tristesse bien charmante, bien douce, qui ne pouvait faire le moindre mal. La vie sans regrets qu’il menait aujourd’hui lui avait appris cette mélancolie-là. C’était une simple gourmandise, que l’on dévorait sans trop attirer l’attention, et qui nous permettait d’assumer une « joyeuse régression ».
Et Pearl… Il devait avoir envie de l’y voir. En conséquence, pris d’intérêt et de malice, il eut pour elle le sourire espiègle du bon joueur :

— Je crois que l’on m’a jeté un sort, claironna-t-il jovialement. Je viens de songer aux Enfants Modernes que nous pouvons être, puisque vous semblez craindre le mal du retour en revenant ici. La mélancolie est envoûtante et…
Allons, ces mots n’étaient pas de lui, sourit-il intérieurement. Qu’allait-il lui dire ? Qu’il s’agissait d’une jouissance douloureuse, et que c’était là tout le paradoxe de la nostalgie ? Sobre !
— Disons qu’il faudrait garder la douceur du retour, mais sans la douleur qui l’accompagne. Vous voulez essayer ?
L’œil allumé par quelque gentil diable, il vit l’Hesperis lever le museau vers lui, comme complice.
— Emmenez-moi donc, déclara-t-il. Et puis, si vous le cœur vous en dit, si les lieux vous inspirent, racontez-moi vos souvenirs, agréables ou non, c’est à vous de voir ; nous avions tiré un trait sur les malheureux incidents, mais certaines aventures sont déplaisantes au moment où on les vit, et deviennent, une fois passées, de bons sujets de plaisanterie. Alors ? Un endroit, une mémoire ?
Tout en marchant, il se pencha doucement sur elle :
— Bien sûr, vous pourrez, quand vous jugerez le moment opportun, me retourner le petit « défi » que je vous lance – en toute innocence, croyez-le bien.
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MessageSujet: Re: Nocturnes [Pearl] Nocturnes [Pearl] EmptyJeu 16 Sep - 15:26


Dans la nuit douce et franche, toute pavée de lumières et de bonnes intentions, Pearl sentit, confusément, que quelque chose avait changé. Était-ce son regard à lui qui, animé des lueurs de la ville, promettait autre chose ? Était-ce ce sursaut de vie, un peu espiègle, qu'elle surprenait au coin des yeux, au coin du sourire, ou encore ce bras qu’il offrait en toute légèreté, comme si cela ne voulait rien dire … ? Pearl ne savait pas, mais elle garda un instant le silence, savourant la douce idée, toute nouvelle, que ce soir peut-être, quelque chose se jouait. L’atmosphère de la ville y était possiblement pour quelque chose, transportant les cœurs, exaltant les folies - car Verassoie, plus que toutes les autres, vivait un peu de sa propre magie. Ce que Pearl ressentait là, alors, c’était sans doute ce petit quelque chose qui, malgré la pression du souvenir, résidait encore dans l’effervescence des foules, dans la bigarrure de la cité – pavés arc-en-ciel et maisons couleur de joie : c’était un peu de ce bonheur que l’on vous offre, sans retour, avec pour seul prix, quelques pousses de haricots.

Oh, Verassoie, et ses ruelles où disparaître, cette possibilité – et même : ce luxe ! – de se fondre dans la foule bruyante venue d’ici, d’ailleurs, de n’importe où … ! Et pour un soir, s’offrir de menus espoirs, entre les bousculades étourdies … ! Pearl pouvait bien se l’avouer : il y avait un peu de ça, oui … Et puis ces petits lyrismes-là, qui la berçaient maintenant, charmes clandestins, elle les avait peut-être un peu oubliés, à mener sa vie toute de continence et de risques, loin des terres natales, alors … C’était toujours ça de pris. Elle était d’ailleurs bien surprise – heureusement surprise – de sentir qu’elle n’était pas la seule à y être sensible … Alors elle rit doucement, Pearl, quand il lui parla de son peuple, de sa famille comme gens peu respectables, elle sourit quand il lui confia son ignorance, et baissa les yeux quand il l’invita à la valse triste des souvenirs – toute la gamme étendue des silences de femme. Elle attendit, patiemment, dans un silence respectueux et presque scolaire, que celui qui guidait ses pas sans trop s’en douter, eût redonné droit au silence. Et puis, quand ce fut son tour, elle répondit, enjouée et presque frivole :

- Oh, vous savez … Les sorciers sont pareils, au fond. C’est un peu bizarre, même, l’atmosphère de Verassoie – on y va pour l’exotisme, les balais magiques, les potions traditionnelles, on y va pour l’évasion, le monde sorcier vend beaucoup, exporte davantage encore, mais …

Elle eut un petit sourire, entre sarcasme et mélancolie – comme une tache étrange sur son expression naïve.

- On ne connaît pas Verassoie, quand on la connaît à travers les yeux d’un touriste de passage. C’était ainsi quand j’y vivais, et je doute que cela ait changé depuis …

Sous ce ton léger, pourtant, dormait quelque chose, d’un peu enfoui, d’un peu secret. Elle avait commencé à parler avec la légèreté d’une femme amoureuse, et le sérieux des vieux souvenirs semblait l’avoir rattrapée. Puis elle se figea. Un murmure à peine audible - Oh, mais j’y pense … ! - et elle sembla se souvenir de quelque chose. Esquissant quelques pas, elle entraîna Sylar vers l’avenue et ses charmants dangers – danses des fumées de couleur, cris des chalands, rire des touristes. Tandis qu’elle longeait les murs, sa voix à peine portée par le vent, se perdait entre les vacarmes et les musiques sans qu'on pût deviner ce qui soudain l'exaltait ; ce qu’elle disait parlait de promesses, de défis, de fragile mémoire, et puis … Elle s’arrêta soudain et se tourna vers lui, l’air amusé. Sous l’agitation, le rouge lui était monté aux joues et quelques boucles noires s’étaient échappées de sa coiffure :

- C'est drôle que vous m'ayez demandé ça ici ... Le premier souvenir qui me vient, c’est justement à ce croisement de rue, juste là, à l'entrée de la ville. Et j’ai de la chance : les évènements m’en donnent une vivante illustration. Regardez, là-bas !

Elle désigne d’un geste le trottoir d’en face, où une petite fille, à peine sortie des plus tendres années, tenait serré contre son cœur un balai fatigué et quelques feuillets épars. Plantée là, apparemment nerveuse, elle contemplait comme eux la foule vivante qui se déroulait, grand serpent à mille têtes, entre les artères des grands boulevards. Pearl laissa Sylar considérer la petite qui tremblait presque, avec sa bourse au côté, ses habits sans richesse, et ses grands yeux noirs qui semblaient ... Chercher de l'aide.

- C’est ainsi que l’on quitte l’enfance, à Verassoie. La famille attend un grand jour, soir de festival, quinzaine d’influence – même que les mauvais plaisants viennent insinuer qu’on organise tant de belles choses à Verassoie pour justement dissimuler ces pratiques d’émancipation. Et puis on lâche l’aspirant sorcier, l’apprentie sorcière au coin d’une rue qu’ils ne doivent pas connaître. Avant le jour suivant, ils doivent avoir retrouvé un chemin à même de les ramener chez eux.

Elle avait dit cela sans émotion particulière, d’une voix trop égale, regardant à peine l’enfant qui hésitait quant à la décision à prendre - à droite, à gauche, fendre la foule ? C’était là un beau souvenir d’anthologie, presque une page d’histoire – dans tous les cas, quelque chose de trop lointain pour qu’on l’interroge. Pourtant au moment d'enchaîner, elle marqua une courte pause, comme si l’idée de s’imaginer là, de nouveau, à la place de cette petite fille, lui donnait un petit pincement au cœur – de ces douleurs bien vivantes, et qui voudraient s'amuser d'elles-mêmes. Et elle ajouta, avec un drôle de sourire :

- Imaginez donc, si cela vous amuse, une petite Pearl qu’on a déposée là bien des années auparavant. Toute aussi perdue que cette enfant-là, peut-être même plus … ! Elle …

Mais elle s’arrêta, sembla hésiter. Un coup d’œil au coin de la rue, où la mince silhouette s’était éclipsée. Et vivement, avec un haussement d'épaule :

- Et la voilà partie … Mais, cela se voit dans ses yeux : elle retrouvera son chemin. Presque tous le retrouvent … !

Et à la voir, maladroite et rougissante, on pouvait se demander qui, de ces deux petites sorcières, était la plus perdue.
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MessageSujet: Re: Nocturnes [Pearl] Nocturnes [Pearl] EmptyVen 22 Avr - 19:14

[J'ai pris le pari qu'on ne m'y reprendrait plus ! Mes plus plates excuses, une fois encore. ;_;]

Sylar s’étonnait d’une indécence involontaire qui lui donnait le pouvoir de tout surprendre chez cette femme. Sans soupçonner que cela fût réciproque. Il ne songeait guère à ses propres faiblesses, ne distinguait plus que les siennes, adorables, qui lui laissaient entrevoir de bien plus doux horizons que ceux auxquels il était accoutumé. Mais de l’illusion ? Point. Avait-il jamais eu la prétention d’atteindre l’horizon ? Admirer – car il ne pouvait l’envisager autrement – celle qu’il aurait voulu considérer comme « sa douce amie » ne devait servir qu’à mesurer la somme de ses échecs et de ses manquements. Sa lucidité, bien qu’inconsciente, demeurait. Cruelle, elle ne l’empêchait pas de se donner. Il pouvait ce soir dispenser l’espoir et ne se sentir menteur qu’après coup ; menteur pour elle, mais surtout pour lui qui ne devait jamais égarer sur ces jolies paupières le souffle rassurant de l’amoureux, qui ne devait jamais serrer la rondeur parfaite de ces épaules pour y imprimer le sceau invisible de sa protection, fidèle, éternelle. Point d’illusion, disions-nous. La Lune rirait de lui. En nimbant Pearl de tant de grâce, elle se moquait déjà.

Il se redressa, comme pour mieux lui laisser le loisir de parler. Les conversations étrangères lui étaient de peu d’importance, aussi ne le gênèrent-elles pas pour entendre ce qu’elle avait à lui dire. A se sentir si imperméable aux autres, il aurait volontiers pensé qu’un prolongement de son don s’opérait tout simplement, motivé par l’instant qui oscillait entre l’anodin et le décisif. Il l’écouta et d’un sourire pareil au sien – qu’il avait mimé sitôt aperçu, sous le joug d’une fascination qu’exerçait fatalement toute nuance nouvelle sur ce visage si pur – lui concéda ce qu’elle lui avait expliqué. Il connaissait ce genre de revers social qui posait sur les coutumes officieuses le voile des coutumes officielles et il ne doutait pas que les rouages fussent cachés ailleurs de la même façon qu’ils l’étaient chez ses aristocrates de semblables. Bien que les coulisses, quelles qu’elles fussent, eussent toujours eu quelque chose de noir, elles ne l’avaient jamais attiré ; plus jeune, elles lui avaient inspiré l’écœurement qui nous prend parfois lorsque l’on vient de découvrir un secret – la recherche ou la trouvaille impromptue de ce qu’il valait somme toute mieux ne pas savoir n’était finalement qu’un processus déceptif. Mais l’arrière-scène des sorciers, il le pressentait, serait autrement plus amusante à sillonner, principalement parce qu’il s’agirait moins de sa découverte que de la redécouverte de Pearl ; lui se terrerait paisiblement dans son grand regard noir, introspectif et rétrospectif, épierait, voyeur mais sans lâcheté, confident mais sans affectivité. Croyait-il.

Car comment comprendre qu’il se montrât si réceptif aux variations ? Ses examens n’en étaient pas ; l’absence de froideur, de distance et de défiance accusait un état contemplatif – avec tout ce que cela impliquait de poésie – dont il n’était pas prêt de sortir.

Contre son bras, il sentit l’idée faire son chemin. Sa compagne s’agitait, ne refusait pas ; il en fut ravi. Ses jambes suivirent sans résistance et l’air nocturne, saturé d’odeurs artificielles à certains endroits, lui chatouilla le visage avec plus d’enthousiasme. Il maintint sa canne légèrement en retrait pour permettre à l’Hesperis de soutenir la course tout près de lui. Un instant, l’échange se rompit et Sylar ne vit ni n’entendit plus vraiment. Pourtant il ne retint pas sa collègue et attendit qu’elle mît un frein subit à sa course pour endiguer à son tour et tout aussi brusquement l’élan de son corps ; il se crut un enfant et n’offrit à l’expression amusée de Pearl qu’un soupir de gaieté, auquel s’ajouta bientôt une lumière particulière dans le regard. C’est qu’il avait effleuré de loin – trop loin – la rougeur chaude des joues et senti – sans surprise – la piqûre d’une frustration inavouable au bout de ses doigts. En fin de compte, plutôt que de replacer distraitement l’une de ces boucles noires, dissipées comme l’étaient ses idées, il fit mine de soulever un peu son haut-de-forme à l’aide du pommeau de sa canne et se permit une inclination souriante des paupières.

— Charmant hasard, murmura-t-il en suivant des yeux la direction qu’elle lui indiquait. Il vit la fillette, n’en fut pas ému. Elle illustrait à merveille la règle qui voulait que rien ne l’attendrît vraiment. En revanche, que son existence fût à ce point dérisoire, en marge de la foule qui ne semblait pas même l’apercevoir, eut de quoi le troubler un peu ; tout du moins, il crut appréhender un peu mieux, en considérant son insignifiance, ce qu’il aurait dû ressentir après avoir mesuré la rudesse de sa situation. Si petite et si seule. Pourtant elle ne se jetait sur personne, et ses yeux ne criaient pas assez fort. Lui les comprenait seulement parce qu’ils étaient grands et noirs. Comme ceux de Pearl.

— Qu’arrive-t-il à l’apprenti qui ne retrouve pas son chemin assez tôt ? Y étiez-vous parvenue à l’époque ? Ou est-ce justement cela qui vous a poussée, d’une façon ou d’une autre, à quitter cet endroit ?

Il avait demandé cela après s’être tranquillement retourné vers elle. Loin, déjà, la petite fille égarée. Ou peut-être pas. Son regard, doux mais insistant, semblait vouloir faire remarquer à Pearl qu’elle rougissait – inutile d’en avoir honte. Cependant il gardait dans son attitude un certain détachement qui le disposait à respecter le silence s’il venait à s’imposer. Il accepterait sans peine le secours d’un autre souvenir et garderait pour lui les hésitations de sa collègue, les impulsions mourantes de sa voix.
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