Pouvez-vous en dire de même, sous votre niaiserie, porté par le vent d’une société en crise ? Avez-vous peur du Big Bad Wolf ? N’ayez crainte, mes chatons, la Police des Contes est là.
Réfugiez-vous entre les bras rassurants de Tata Fawnie.
Douce, chaude, apaisante, la traqueuse s’affecte un rôle protecteur envers chacun : c’est pourquoi elle s’est engagée au service des citoyens. Aisément, sa voix se transforme, console et fait disparaître les plaies les plus enfouies. C’est ainsi qu’elle est, qu’elle aime, car c’est une brave fille qui croit encore au bonheur universel. Son rêve, qui enfante également une peur bien dissimulée : le chaos général, une horreur plus profondément ancrée dans les mentalités. La situation actuelle l’effraie. Et si ça empirait ?

Dans une allure décontractée, dans un pas désinvolte, dans un visage épanoui, dans un regard vivant, on détecte une aura facilement perceptible. Fawn ne complique rien, elle se contente de ce qu’on lui pose sous le nez, et n’a besoin de rien de plus. Partisane des principes hippies, elle s’éclate, fait ce qui lui plait, et s’applique à communiquer ses idéaux. Aimer son prochain, planer, adopter un chat. Voilà ce qui la branche. Cette demoiselle est tout un complexe où la luxure côtoie la raison et le sérieux. Loin d’être niaise, elle sait quand elle peut fumer, boire, faire la fête, et quand elle doit se montrer soigneuse et posée. Elle ne se présente pas à un triste témoin la mine enjouée, et choisit une figure réconfortante. Et malgré toute la chaleur dont elle peut faire preuve, malgré sa bonté et un principe de partage profondément ancré dans ses pensées, elle conçoit qu’il faut parfois faire preuve de fermeté. Les limites sont définies, elle les applique et c’est ce qui fait d’elle quelqu’un de compétent. Même s’il faut, avec certaines personnes, jouer des poings. Elle est honnête, franche, et il y a diverses façons de faire passer un message. D’autant que ces capacités ne sont pas moindres. Sûr, on y trouve quelques limites : la demoiselle est réticente à user de son don, certes, bien utile, mais terriblement contraignant. Maux et compagnie, ainsi qu’une peur indicible que sa gorge finisse par fondre.

Cliente abonnée au forfait sourire, Fawnie rit de peu. Elle aime taquiner, tapoter l’épaule amicalement, blaguer sur tout, sur rien. Elle aime la vie, et ne la troquerait contre rien au monde. Mature, fêtarde, d’agréable compagnie, c’est cependant une maniaque du boulot. Pas une bavure à son actif : aucun retard, et malgré une impertinence et un sens de la hiérarchie absent, ses états de service sont excellents. Vous ne la verrez pas se ménager, se reposer inutilement : ceux qui veulent mériter leur paie doivent se dépenser un peu. Elle n’aime pas les laxistes, ou encore les feignants qui ne se sont jamais que donner la peine de naître. Les richards, les fils de richards capricieux : elle coule des jours heureux, et elle dut suer sang et eau, pour cela.
L’amour ? La traqueuse n’est pas en quête de l’homme de sa vie, d’un beau mariage princier. Les coups d’un soir suffisent à calmer sa libido. Femme publique, présente pour le bonheur de tous.

La peinture. Si elle n’était pas entrée dans la Police des Contes, elle aurait été peintre. Depuis toujours, elle joue de son pinceau sur tout et n’importe quoi, amène couleurs et motifs abstraits sur les toiles et les murs. Sa passion, son but dans ce domaine est bien précis. Du bout de son pinceau, elle cherche à faire comprendre le plaisir de peindre, toute la beauté d’un jaune ou d’un bleu, l’inutilité des formes, l’importance des mélanges colorés. C’est tout un art que de bien peindre n’importe quoi. Et si vous ne voyez que d’absurdes taches colorées, taisez-vous : elle ne supporte pas les critiques. D’autant qu’elle peut parfaitement peindre un magnifique paysage.

On l’imaginerait fumer à côté d’un pack de bières, son matou ronronnant entre ses jambes croisées. Douce, jolie et agréable traqueuse, pomme sucrée à souhait que l’on croque avec passion. Fawnie a de quoi faire.

Malgré ses vieux vêtements déchirés, aux formes et motifs démodés, tâchés de toute part, on ne lui niera pas un charme présent. Couleurs chatoyantes, tenues simples piochées au hasard dans un magasin peu cher, on ne peut pas dire que la demoiselle soit au courant des dernières tendances. Vous lui dites shopping, elle est genre : « De quoi tu causes ? ». Non pas moins bien dans sa peau, on distinguera dans son allure un certain caractère, posant ainsi une incontestable autorité. Le cou droit, le geste souple. Il n’est pas compliqué de la deviner : elle ne se cache pas et se plait, au contraire, à afficher fièrement une mine radieuse. On l’imagine commander, et sûr qu’elle aime prendre les choses en main, quitte à infliger sa présence. Invisible et discrète, elle ne l’est pas. Mais de toute façon, bariolé ainsi, difficile de passer inaperçu.
La mignonne n’a rien à envier aux belles dames froufroutées. Sous ses guenilles, sa silhouette se dévoile. De larges hanches, des fesses rebondies et une poitrine bien satisfaisante. Fawn apprécie ce qu’elle est à sa juste valeur, même si trois ou quatre centimètres de plus n’aurait pas été de trop. Un peu petite, la demoiselle, tout de même. Mais proportionnée. Une masse corporelle dans la norme, se plaindre serait se moquer du monde. Des courbes harmonieuses, chaque partie de son corps s’accorde.

Son regard est vif, d’un bleu éclatant, ou tout s’entrechoque et se mélange. On retrouve sa personnalité dans un regard, au fil des nuances. La traqueuse à un joli visage, une forme candide dépassée par la maturité de la personne, lui ajoutant un charme unique qui ne manque pas de plaire. Un petit nez ténu, discret, laissant ainsi place à un sourire sincère, encadré par deux lèvres rosées. Peut-être serein, peut-être coléreux, peut-être amusé ou taquin. Tout un panel d’expressions tant nombreuses que variées.
Et comme c’est une fille colorée, on ne manque pas de noter ses cheveux couleur chair, s’accordant avec la blancheur et la pureté de sa peau.

La mère, le père, la fille. Une vie modeste, juste ce qu’il leur faut de yubas. Pas de quoi fouetter un chat.
Merveilleuse vie monotone, les bouches allaient et venaient dans la cuisine, du réveil au couché, les gestes se répétaient inlassablement. Pas d’histoires douteuses, jusqu’au jour où la mère se fit agressée et violée.

Fawn n’avait pas les yeux du père de famille. Ni son nez, ni son menton. Elle était seule à avoir la peau si blanche, les yeux si bleus, la chevelure si claire. Elle n’avait pris de sa mère que l’air doux. Et pourtant, il fallut l’accepter, forcer l’amour. Gamine aberrante, lâchée dans un ménage étranger, bercée par une douce illusion. Sa demi-sœur se moquait d’elle, son père la méprisait, sa mère la fuyait. Et tous, devant elle, souriaient à s’en décrocher la mâchoire. Mais, lorsque l’on grandit au milieu du mensonge, que peut-on y trouver de curieux ? Elle fut heureuse, se contenta de l’affection qu’on lui légua et atteint l’adolescence sans plus de difficulté qu’une autre. On lui disait parfois qu’on ne pouvait décemment pas vivre avec une sœur aussi exécrable, et des parents niant presque votre existence. Mais Fawnie n’avait besoin que de peu pour en donner cent fois plus. Elle aimait sa famille. C’était une jeune fille un peu crédule, à l’époque. Tant qu’on la traitait bien, elle était heureuse. On pouvait bien la tuer sous les tâches ménagères, cela ne la dérangeait pas : l’énergie et la bonne volonté répondaient présents. Brave fille.

Et le pauvre matou, laissé pour mort dans cette sombre ruelle, affamé. Pas de griffes, pas de collier, pas de maison. Pauvre bête. Alertée par les miaulements du pauvre animal bloqué dans une poubelle, la demoiselle, chargée des courses pour le repas du soir, s’arrêta. Et elle sauva la maigre bestiole. Depuis toute petite, elle aimait les chats, alors elle ne put résister, et lui donna un bout du bœuf à la guimauve qui devait composer le dîner de la famille. Un beau petit pèpère blanc, tâché de bleu, sans famille, malheureux. Des tréfonds de son être, une étincelle s’alluma et jamais plus ne s’éteignit : elle devait l’aider. Ajouté au panier, repu, le félin obéit à celle qui l’avait sauvé. Brave bête. Mais arrivée à la maison, personne ne vint lui ouvrir.
La porte était close. Anormal. Ils devaient tous l’attendre, comme des miséreux, prêts à avaler n’importe quoi. Après tout, c’était elle qui avait la nourriture. Et la monnaie des courses. Il aurait oublié de l’avertir que le déménagement était avancé ? Qui pourrait le croire ? Ils l’avaient abandonnée, c’était tout. Pas un mot. C’était mieux ainsi, peut-être. Les autres avaient raison : sa famille ne l’aimait pas. Ils étaient vraiment trop distants. Comment était-elle censée faire ?

Fawn pleura. Pauvres d’eux, pauvre d’elle, misérable elle. Juste bonne à être laissée sur le bord d’une route, comme ce chat sans griffes incapable de chasser les souris. Comment leur en vouloir ? Ils devaient avoir leurs raisons. Lorsque l’on croit en tant de chimères, difficile de se résoudre à haïr. Il lui restait le matou. La nourriture. Et la monnaie des courses. Elle n’avait pas tout perdu. Le chat sortit de son panier pour se poser contre sa malheureuse maîtresse. Douce caresse rassurante.

Fawn Day remonta plus vite qu’on n’eut pu le croire. En deux mois, elle était partagée entre trois petits boulots, se tuait à la tâche pour gagner son salaire. Payer son loyer, sa nourriture, ses vêtements, et les croquettes de Ticktock. Aidée d’abord par une amie, la demoiselle eut tout le temps de comprendre les rouages de la société, de découvrir certaines choses plus belles. Les gens ne sont pas tous beaux et gentils, les parents abandonnent parfois leurs gosses pour rien, des crimes atroces ont lieu, le soir, et déchirent des familles. Le monde est moche. Et pourtant, elle était heureuse, dans sa vie simple et monotone : métro, boulot, dodo. Son chat aussi, à présent. Ils avaient tourné la page. A seize ans, on n’en est qu’au commencement. Elle mentait sur son âge, les gens ne vérifiaient pas.
Elle travaillait la plupart du temps, passait le reste à peindre, ne sortait voir ses amis que peu. Elle préférait l’ambiance de son petit chez-elle, avec son animal, une petite fumette, des sucres d’orge.

Les pickpockets, on en voit tout le temps. On n’y fait pas forcément attention, c’est leur job, de passer inaperçu. Et lui, pauvre gamin, il n’était pas très doué. Son porte-monnaie avait sa place, bien caché dans la poche droite de son pantalon. Elle avait tant l’habitude de le sentir contre sa cuisse : elle remarqua immédiatement qu’il filait. Il en faut peu, pour déclencher une vocation. Le déclic fut surprenant, naturel, intriguant. Elle s’arrêta net, le malheur voleur prit peur et s’enfuit sans demander son reste.

Quelques années plus tard, elle était traqueuse. Pourquoi ? La Police des Contes assurait la sécurité des autres. Il géraient les problèmes sociaux, les crimes, et rendaient le monde meilleur. Elle qui se désolait tant du chaos qui régnait sur la ville, et sans doute sur le reste du monde, elle participerait à la conciliation des citoyens. Traqueuse. Officier de la Police des Contes. Unités d’Interventions Féeriques. On ne trouverait plus passionnée qu’elle dans ce travail.